

Malala Sylvia (MS) : Sept personnes ont été les principales victimes de cet « accident » : le premier ministre, le colonel Rakotomalala Joël, Monsieur Rajaonah Pierre, le ministre du développement rural et de la réforme agraire, le lieutenant-colonel Rakotonirainy Alphonse, le chef de l’Etat-Major général de la défense nationale et des forces armées populaires, le commandant Rampanana Martin, directeur de cabinet militaire du premier ministre, le sous-lieutenant Todisoa Angelison, pilote de l’hélicoptère, l’adjudant-chef Fernand Ndriamanato, mécanicien de l’hélicoptère et Monsieur Simon Randriantsoa, caméraman.

MS : Les raisons de ce déplacement dans le Vakinankaratra étaient multiples et plusieurs points d’arrêt étaient prévus. Il y avait la visite de Befaka qui était un endroit pilote pour le gouvernement, où a été mis en place un programme d’intensification de la riziculture. Ensuite étaient prévues, la mise au point sur l’opération contre les voleurs de zébus opérée par la gendarmerie puis une cérémonie de sortie de promotion de Peloton des Cadres de Réserves (PCR) à l’Académie militaire d’Antsirabe. Enfin, une rencontre avec la compagnie de service civique de Mandoto.
MS : On sait qu’ils sont passés à Antanifotsy (au Nord Est d’Antsirabe) puis à Befaka - Fandriana (au Sud-Est d’Antsirabe) et c’est sur la route de Mandoto que le crash a eu lieu, vers midi. Ils ne sont jamais arrivés ni à Antsirabe, ni à Mandoto alors qu’ils devaient être de retour sur Antananarivo en fin de matinée.
RLH : D’après vous, que s'est-il passé?
MS : Il y a donc eu d’énormes retards dans le programme, ce qui me paraît surprenant car les déplacements militaires sont en général réglés à la minute près et mon père qui était un homme très ponctuel, aurait dû intervenir.
Un mystère dont je n’ai pas encore la réponse…
MS : Les causes de cet accident ne sont pas connues. L'hélicoptère Alouette III était peut-être vieux mais était bien entretenu, le sous-lieutenant Todisoa qui était à la manette était un pilote confirmé et expérimenté, et ce jour-là, les conditions météorologiques étaient bonnes.
RLH : N’y a t-il pas eu enquête en la matière ?
MS : Si en effet, mais les résultats n’ont jamais été publiés. Une enquête préliminaire a été instruite par la circonscription régionale de la gendarmerie d’Antananarivo en liaison avec les autorités judiciaires d’Antsirabe. Une commission technique militaire avait été également désignée. Comme l’Alouette III est de manufacture française, des experts français sont arrivés le 2 août à Madagascar mais sous les ordres de la présidence, ils ont été empêchés d’aller sur le terrain et ont été assignés à rester dans leur hôtel en centre ville d’Antananarivo. Pendant ce temps, les autorités malgaches avaient déjà évacué les débris de l’hélicoptère et les avaient fait ramener à Antananarivo.
MS : Les experts français ont donc conduit leurs investigations sur la base de seules observations des morceaux présentés de l’appareil.
RLH : Est-ce la procédure normale ?
MS : Ce genre de procédure n’est pas commune à mon sens car de manière générale et universelle, les débris d’aéronef ne doivent pas être déplacés avant l’arrivée des experts, qui eux doivent se rendre sur les lieux du drame pour relever tous les indices et faire une reconstitution des faits. C’est étrange, même le commandant de la gendarmerie de l’époque, le général Rakotomanga Mijoro n'avait pas été informé des résultats de l'enquête alors qu'il n'avait quitté ce poste qu'un an après le drame. Il dit dans son livre « ne préjugeant en rien des résultats de ces enquêtes dont je ne connais pas les conclusions depuis mon départ de commandement ».
RLH : Quelles en ont été les conclusions ?
MS : Les autorités ont conclu que ce crash fut « un simple accident » sans d’autres explications.
MS : Les mesures prises autour de cet accident semblent inhabituelles, à mon sens.
RLH : Quelles étaient donc ces mesures inhabituelles ?
MS : Le ministère des affaires étrangères malgache avait envoyé une note aux ambassades qu’aucune délégation étrangère n’était officiellement invitée à venir au stade de Mahamasina pour honorer les morts ni pour assister aux cérémonies.
Durant les jours de deuil, les autorités malgaches ont informé les transporteurs aériens qui desservent Madagascar, qu’à l’exception des résidents permanents, aucune entrée sur le sol malgache n’était autorisée pour les étrangers. Il en était de même de ceux qui détenaient des passeports diplomatiques ou de service. Par contre, les personnes qui voulaient quitter le territoire pouvaient partir librement. Ces restrictions pour un soi-disant « simple » accident me paraissent disproportionnées.
MS : Le même scénario avait été appliqué durant six semaines lors de l’assassinat du colonel Ratsimandrava en février 1975. En comparant ces deux évènements et les actions qui en découlent, faut-il alors croire que ces restrictions ne sont pas anodines et que cet accident d’hélicoptère n’était pas aussi banal que ce qu’on voulait nous faire croire ?
RLH : Cette suspicion repose-telle sur quelque chose de concret ?
MS : Tout ce que je peux dire, c’est que durant les dernières semaines avant ce drame, mon père était très inquiet concernant sa sécurité et nous avait demandé d’être vigilant. Lui-même avait changé ses habitudes, ne se déplaçant plus à son bureau qu’en voiture au lieu de s’y rendre à pied. Il va sans dire que tant qu’on ne publiera pas de manière claire, les résultats de ces enquêtes, les doutes subsisteront et donneront raison aux rumeurs. Etait-ce un sabotage ?

MS : Il est de la promotion Maréchal Bugeaud de Saint-Cyr dont la particularité fut d'avoir été formée pour la guerre d'Algérie . Mon père fut, quant à lui, affecté au 12ème bataillon de Chasseurs Alpins, stationné sur la frontière algério-tunisienne. Et c’est de là qu’en 1961, le Colonel Ramanantsoa Gabriel, chef d’Etat- Major, l’avait fait appeler pour rejoindre la nouvelle armée malgache, née avec l’indépendance. Après les généraux Ramanantsoa et Ramarolahy, mon père devient le troisième chef de l’Etat-Major de l’Armée malgache. Il n’a jamais accepté de poste politique car il disait que l’armée, indépendante, devrait rester dans les casernes et s’atteler à sa mission première, la défense militaire du pays.
Alors qu’il est chef de l’Etat-Major général des forces armées, Rakotonirainy Alphonse sera parrain de la 8ème promotion de l’Académie militaire malagasy 1975-1977, promotion Richard Ratsimandrava. Et en 1980, la 13ème promotion avait décidé de porter le nom de Rakotonirainy Alphonse. Mon père avait ce trait particulier, qu’il s’impliquait énormément dans toutes les taches qui lui incombaient et donc, c’est naturellement qu’il s’occupait beaucoup de ses filleuls de la 8ème, qui étaient accueillis à la maison comme des fils. Et d’ailleurs, même après son décès, la 8ème fut toujours auprès de la famille, comme la 13ème aussi d’ailleurs. En ce jour de souvenir de ce drame, je voudrais juste rappeler ce que mon père avait écrit dans le livre-album de la 8ème promotion.

RLH : Pourquoi avez-vous tenu à en parler 38 ans après ?
MS : La mort de mon père et de ses compagnons d’infortune, ne mérite pas de rester inexpliquée et ce ne serait que justice si tous ces mystères ayant entouré cet accident du 30 juillet 1976 trouvent enfin des réponses claires.
Lien vidéo : Tsingerim-pahatsiarovana an’i Rakotonirainy Alphonse
Propos recueillis par Lala Haingo Rajaoarisoa
Rakotomanga Mijoro (1998) Forces armées malgaches, Entre devoir et pouvoir. Ed. L’harmattan